dimanche 1 mai 2011

I - Louis BLANC - Vicomte de Salisbury -


  Il est permis d'imaginer ce qu'aurait dû être le parcours de certains humains qui ont abordé leur existence terrestre dans le rejet et la difficulté.


  Celui qui est concerné par la présente investigation désintéressée a été abandonné à sa naissance. Voici son histoire reconstituée 160 années plus tard, sous forme de nouvelle.

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1 - Dans la rue, un soir d'hiver de 1848...


    Nous sommes en Normandie, à Caen, le mardi 18 janvier 1848. Il est environ 19 heures. Les réverbères diffusent leur lumière blafarde, la nuit enveloppe déjà les silhouettes furtives des noctambules pressés de retrouver le coin du feu.

    Au n° 6 de la rue Graindorge, située dans le quartier du château, une femme s'écroule sur le perron d'une maison bourgeoise, résidence d'un avoué connu et réputé dans le milieu de la justice, Maître Mainier. Elle frappe à la porte en criant et gémissant : "Je suis enceinte, aidez-moi, aidez-moi ...!"

    Un voisin, voyant que la femme avait un urgent besoin d'aide et était prête à accoucher, court, suivant les indications de la future maman, chercher la sage-femme habitant la même rue pour lui demander du secours. En fait, cette sage-femme était dans la confidence et avait été contactée auparavant pour s'occuper discrètement de l'enfant.

   Anne-Victorine Beuron accourt sur les lieux et ne peut faire mieux que terminer l'accouchement sur place et recevoir le bébé dans les meilleures conditions possibles. La mère et l'enfant sont transportés au domicile de la sage-femme pour recevoir les premiers soins.

    Entre-temps, de retour à son domicile, l'avoué constate l'effervescence régnant dans la rue, se renseigne et participe finalement à l'accueil et à la mise en sécurité de la mère et du bébé chez la sage-femme.

    La mère porte des vêtements assez élégants, de bonne facture, et s'exprime dans un français correct avec un léger accent anglais. Le grand sac de cuir qu'elle garde près d'elle en permanence provient d'un fabricant londonien connu. Il contient un trousseau complet pour nouveau-né. Tous les petits vêtements et accessoires sont blancs. Les brassières sont discrètement brodées d'un petit motif très simple, en triangle pointe en bas, placé sous le col et recouvert par les dentelles formant l'encolure. Aucune trace d'initiales ou d'origine n'est présente.

    Après une courte récupération, la jeune mère prend congé dans la nuit pour s'éclipser rapidement afin de ne pas reconnaître officiellement l'enfant, non sans avoir laissé le sac-trousseau à la sage-femme ainsi qu'une importante somme d'argent qui permettra à la famille d'accueil d'amener l'enfant jusqu'à sa majorité. A charge pour Anne-Victorine - aidée de l'homme de loi - d'informer les autorités administratives pour déclarer la naissance de cet enfant naturel et assurer le placement et le suivi du bébé.

2 - Déclaration administrative

   C'est Anne-Victorine Beuron, épouse Blache, qui se charge de la déclaration en mairie. Voici le fac-similé de l'extrait de naissance rédigé à l'Hôtel de Ville de Caen le lendemain 19 janvier 1848 :


 
 Lecture de l'extrait de naissance :

n°40 : Louis BLANC - fils naturel -
  Aujourd'hui dix-neuvième jour du mois de janvier mille-huit-cent-quarante-huit, à l'Hôtel de Ville, devant nous, Charles-Rose GERVAIS, adjoint au Maire de Caen, département du Calvados, faisant fonction d'officier d'état-civil, est comparue Anne-Victorine BEURON, sage-femme, épouse de Jean-André BLACHE, demeurant à Caen rue Graindorge, laquelle a déclaré qu'une mère inconnue est accouchée devant le domicile sus-énoncé, le jour d'hier à sept heures du soir d'un enfant naturel du sexe masculin, qui nous était présenté et auquel ont été donnés les prénom et nom de Louis BLANC. Les déclaration et présentation ci-dessus ont été faites en présence de Louis DELAUNAY, cordonnier, âgé de soixante ans, demeurant à Caen rue de la Préfecture et de Louis Jean Désiré NERON, journalier, âgé de vingt-trois ans demeurant à Caen rue de la Boucherie.
Et nous avons tout rédigé avec la déclarante et les témoins ont signé avec nous après lecture.

Signatures : j.a. Blache,   Delaunay,  Ch. Gervais ,  Neron

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   L'enfant est alors confié à Madame BEURON qui fera fonction de tutrice jusqu'à la majorité de Louis. L'argent remis par la mère devra être géré conjointement par la tutrice et la personne chargée des questions sociales à la Mairie de Caen avec le concours de la Banque de France dont la succursale de Caen vient d'être créée.

3 - Origine logique des parents de Louis BLANC

   Il va falloir remonter dans le temps et se pencher sur les origines mêmes de la Normandie pour trouver une explication à l'événement qui nous occupe ici.

   En commençant l'analyse des éléments qui sont en notre possession, aucun doute n'apparaît sur l'origine anglaise des géniteurs de Louis. La jeune maman a avoué sa nationalité anglaise mais n'a cependant jamais accepté de parler du père de l'enfant. Les faits relatés par la déclaration officielle de naissance, par la transmission orale de renseignements complémentaires et par la tradition familiale - vêtements, constitution du trousseau, accent et type nordique de la mère  (détails obtenus oralement durant la courte présence de celle-ci auprès de la sage-femme)  - apportent la certitude de l'appartenance des parents à la grande île de Bretagne, de l'autre côté du Channel.

   Par ailleurs, la qualité et le choix des vêtements font immédiatement penser aux traditions de l'aristocratie anglaise.

   De plus, il faut noter que le peuple d'Outre-Manche conserve ses attaches en Normandie bien que 7 siècles se soient écoulés depuis la fin du règne des derniers souverains normands et angevins à la fin du XIVème siècle. La noblesse anglaise, galloise, irlandaise ou écossaise doit beaucoup aux descendants de Guillaume le Conquérant et considère toujours les provinces françaises de Normandie et même d'Aquitaine comme un prolongement sur le continent de leurs territoires propres. Pendant des centaines d'années, les exclus de la monarchie se sont souvent retrouvés sur les rivages normands par atavisme mais également pour se fondre dans le paysage et favoriser ainsi l'oubli de leur disgrâce ou de leur fuite.

   Il faut dire que beaucoup de "barons" anglais conservaient sur le continent, qui une famille, qui des amis ou même des relations issues d'associations diverses. Il leur était facile par conséquent d'organiser des séjours temporaires pour les membres de leur clan ou pour, éventuellement, des serviteurs ou des proches, si le besoin ou l'honneur du nom s'en faisait sentir.

   Or, il est clair que, pour l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui, il s'agit probablement d'un séjour de l'ordre de 6 mois permettant en toute impunité de se débarrasser d'un passager de plus en plus encombrant. Des amis habitant la région proche de Caen ont été assurément sollicités pour accueillir la future mère et permettre ainsi au "père" de poursuivre ses affaires sans provoquer de scandale.

   Pourquoi Caen ? 
   Nous détaillerons par la suite les 3 avantages principaux de cette ville :

- Située au coeur de la Normandie de Guillaume. On peut encore y trouver de la famille et des amis fidèles...
(ci-contre, Chateau de Guillaume le Conquérant, la Porte des Champs )
- Taille suffisante de l'agglomération (45000 habitants à l'époque) pour éviter d'être remarqué.
- Eloignement significatif du fief d'origine de la famille concernée (Evreux).
  Nota : Robert Devereux - famille d'Evreux anglaise - avait occupé le poste important de "Lord Chamberlain" dans l'administration du pays (haut-fonctionnaire à la Cour).

4 - L'indice 

   Quel chemin prendre pour suivre une piste utilisée presque 2 siècles plus tôt ?

   Les indices factuels ayant été examinés, un indice visuel a ensuite attiré notre attention.

   La broderie décorant les vêtements du trousseau a probablement une signification, voulue si la mère cherchait à laisser un chemin pour la retrouver plus tard ou non voulue s'il avait eu précipitation au moment du départ. Mystère...!


   Nous avons dessiné le motif tel qu'il a été décrit oralement par la tutrice, à Louis d'abord, puis à ses enfants. La dimension est réduite, entre 1 et 2 cm de hauteur seulement.



   Le dessin comporte 6 points brodés en bleu, cerclés de jaune et disposés en triangle pointe en bas.

   Après réflexion, nous retenons la singulière analogie géométrique avec les représentations utilisées sur les blasons et écus des grandes familles européennes (en héraldique : de ciel à 6 tourteaux d'azur cerclés d'or). 



La recherche peut commencer !---) Dans l'héraldique d'Outre-Manche !


   En explorant prioritairement les zones géographiques bien connues des Normands comme le Sud-Ouest de l'Angleterre, nous découvrons un dessin similaire sur un document (ci-contre) concernant la généalogie de la famille Mussegros, implantée en Wiltshire depuis le XIIIème siècle, notamment comme forestiers de la superbe forêt de Savernake au nord du comté et comme Connétables de Salisbury.


    Ce motif est, en fait, une représentation simplifiée reprenant la trame du blason des Comtes de Salisbury. Le nombre de figures, les positionnements en triangle pointe en bas et les couleurs sont absolument identiques. Les lions rampants sont symbolisés par des anneaux, plus faciles à réaliser en pratique. C'est également pour cette raison que la broderie des vêtements de Louis BLANC est constituée de points évoquant la position des lions du blason officiel (impossibilité pratique de broder les lions sur un vêtement de bébé).

Blason des Comtes de Salisbury

   Voici le blason officiel des Seigneurs de Salisbury créé par Guillaume de Longue Epée, Comte de Salisbury de 1196 à 1226. Il était fils illégitime d'Henry II d'Angleterre, demi-frère de Richard Coeur de Lion et arrière-petit-fils de Guillaume 1er d'Angleterre, dit le Conquérant.

   Nous y voyons les 6 figures disposées en triangle pointe en bas. Les couleurs or et azur confirment l'analogie.





Illustration représentant le tombeau de Guillaume de Longuepée :

Illustration représentant le tombeau de Guillaume Longuepée 
dans ses couleurs originelles, en la cathédrale de Salisbury (voir photos dans la bande latérale). 




Blason des Marquis de Salisbury
en vigueur depuis la création du
marquisat en 1789


    
   Un élément important vient s'ajouter.
   Les 6 lions en triangle ont été repris à partir du XVIIIème siècle sur l'écu du Marquis de Salisbury. Cet écu est dit "écartelé" (en 4 champs). Les lions figurent sur les champs 1 et 4 pour l'ancien comté et sur les 2 autres champs pour la cathédrale de Salisbury.

   Nous avons désormais délimité notre champ d'investigation, mais un peu d'histoire va être utile pour mieux appréhender la suite du récit.


5 - Petit rappel historique

    Explorés par les "humains" depuis 500 000 ans dans les périodes inter-glacières, les territoires correspondant à la Grande-Bretagne ont été tout d'abord peuplés, voici 10 000 ans par des tribus venant d'Europe centrale qui ont profité des basses eaux de l'époque pour traverser le Channel à pied sec.
    Les Celtes puis les Angles, Saxons et Jutes, arrivés cette fois par voie maritime, occuperont ensuite le territoire jusqu'à la conquête romaine qui se terminera au IIIème siècle de notre calendrier actuel (étymologiquement l'Angleterre c'est la terre des Angles).
    Les Angles seront supplantés et asservis par l'expansion des Vikings dès la fin du VIIIème siècle.

  Voilà ou nous voulions en venir pour expliquer l'intérêt porté par les Normands aux Iles britanniques.


    Pendant la période Viking dans les Iles britanniques (de 793 à 1066), ce sont des rois danois qui dominent le pays, principalement l'est de l'Angleterre, le sud de l'Irlande et le nord de l'Ecosse, surtout les îles.
    L'ouest de l'Angleterre est essentiellement resté anglo-saxon, mais le dernier souverain Edouard le Confesseur était très lié aux ducs normands puisque sa mère était Emma de Normandie, fille du duc de Normandie Richard 1er.


    Dès la conquête de l'Angleterre en 1066 par Guillaume, duc de Normandie, les territoires conquis furent redistribués aux nouveaux "propriétaires" et le comté de Wiltshire fait partie des territoires annexés et réaffectés dès 1067. Guillaume fut couronné roi d'Angleterre le 25 décembre 1066 à Westminster.  L'unification de l'ensemble des Iles Britanniques prit plusieurs années supplémentaires.
    Nous pouvons trouver dans le "Domesday Book" le résultat d'un inventaire complet des territoires, initié par Guillaume. Il sera terminé et publié en 1086. Tous les domaines terriens sont répertoriés et leurs propriétaires sont désignés avec leurs titres récemment acquis ou plus anciens. Ce document est encore une référence au XXIème siècle et est toujours utilisé pour les décisions de justice.


    Pour la partie qui nous intéresse, dans le Wiltshire, nous pouvons noter dans le Domesday Book les familles suivantes ayant participé à la conquête de l'Angleterre :

 -  de Bures.
     Michel de Bures (1010 / 1087) participa à l'armada de conquête (1 600 bateaux dont 600 pour les hommes et 1000 pour les chevaux). Il faisait partie de la liste de Falaise qui nomme distinctement les barons contributaires de l'armée de Guillaume. La dernière concertation avant le départ pour l'Angleterre, via St Valéry-sur-Somme, eut lieu à Dives-sur-Mer, ville très proche de son domaine normand de Bures situé à 8 km à l'est de Caen.
    En 1067, Michel de Bures (ou de Buron ou de Burgh pour les anglais) obtint des terres dans plusieurs comtés dont un domaine situé dans le Wiltshire. C'est à son fils Walter (1040 / 1104) qu'il attribua le manoir situé près de Calne dans le nord du comté. Ce fils est connu sous le nom de Walter de Cauna (ou Calne, nom dérivé de Caen selon certains historiens).

Nota : Pour l'anecdote, une colline, située à l'ouest de Calne, près de Devizes, s'appelle "Caen Hill". Ce lieu est surtout renommé pour la construction d'une échelle de 29 écluses réalisée au début du XIXème siècle pour le canal reliant Bristol à Londres (photo dans la bande latérale). Ces écluses escaladent la colline de 250 mètres sur 3 km.



 - de Hauteville
    Petit-fils de Tancrède de Hauteville, dont les fils s'illustrèrent en conquérant l'Italie du Sud et la Sicile (souverains du Royaume de Sicile), Raoul de Catanzaro (de Hauteville) participa à la bataille d'Hastings et reçu un fief dans le Wiltshire à l'est et à l'ouest de Grafton, en 1067 environ. Grafton se situe dans le nord-est du Comté près de la forêt domaniale de Savernake.

 - d' Evreux
   Guillaume d'Evreux participa à la bataille d'Hastings. Son père Richard avait fourni 80 bateaux et des hommes à Guillaume le Conquérant.
    Edward de Salisbury (1058 / 1130), fils de Guillaume d'Evreux, fut nommé connétable de Salisbury après la conquête. Son fils Walter (1090 / 1147) prit le titre de baron de Salisbury. Ensuite Patrick (1122 / 1168), le 2ème fils de Guillaume devint comte de Salisbury en 1143.
   Après diverses suspensions et nouvelles créations au fil du temps, le titre devint "Marquis de Salisbury" en 1789. C'est une autre famille qui fut récompensée. Le baron James Cécil devint marquis de Salisbury en raison de services rendus à la nation dans le domaine politique.

- Richard Esturmy
    Dès 1067, Richard Esturmy, chevalier compagnon de Guillaume le Conquérant, se vit confier la gestion de la forêt domaniale privée de Savernake, au nord-est du Comté. C'est le seul domaine anglais demeuré depuis dans des mains privées, il fut, par exemple, géré au XIIIème siècle par la famille Mussegros puis de Bures dont nous avons déjà parlé plus haut.

6 - Année 1847 dans le Comté de Wiltshire


    Après ce bref  intermède montrant clairement les relations serrées qui existaient entre les familles des conquérants et les Normands du continent, revenons à notre récit.

    Au XIXème siècle, les marquis de Salisbury sont également seigneurs de Hatfield, dans le nord de Londres. En effet, le château d'Old Sarum, au nord de la ville de Salisbury, n'est plus habitable depuis longtemps et la famille de Salisbury vit à Hatfield House (photo dans la bande latérale du blog).

   Par contre, le superbe manoir de Cranborne, au sud-ouest de Salisbury, fait partie du domaine du marquis. Ce site a d'abord été occupé au Xème siècle par un lieu de culte saxon, puis fut donné par Guillaume le Conquérant à son cousin Robert Fitzhamon en 1067 pour y construire une abbaye et un pavillon de chasse. L'église normande date du XIIème siècle. Le manoir actuel a été construit sur la base du pavillon de chasse en 1610 par Robert Cecil qui reçu le titre de comte de Salisbury en 1605. Le titre de comte fut élevé au rang de marquis en 1789. 

Manoir de Cranborne au sud de Salisbury le 21 juin 2011

   En 1847, très occupé par ses fonctions politiques (membre éminent du parti conservateur) dans la capitale, le marquis utilisa ce manoir en villégiature. Il en avait confié l'intendance à une personne de confiance, la baronne Elisabeth de Buron, de petite noblesse désargentée et résidant dans la région de Calne, au nord du Comté.

    La fille de la baronne, Alexandra, jeune personne blonde, élégante, au physique très agréable, participait fréquemment avec sa mère à la gestion du domaine lorsque ses études à Bristol (Bristol Médical School) lui laissaient un peu de temps libre.
    La langue française a, de tous temps, été de règle dans cette famille dont les ancêtres reçurent des terres dans le Comté après la conquête de 1066 (voir ci-dessus la famille "de Bures" ou "de Buron" pour les Anglais). Cette famille subit des fortunes diverses mais conserva toujours des relations avec la souche originelle dans la région de Bures et Bures-sur-Dives près de Caen en Normandie.
 
    Pour les visiteurs du week-end à Cranborne, en pause par rapport à l'activité trépidante londonienne, il était difficile de ne pas s'intéresser à cette jeune fille moderne et séduisante qui leur parlait de la vie en province et adorait écouter les anecdotes rapportées par le marquis sur la vie de la capitale. Notre marquis n'échappa pas au délicieux piège tendu par le hasard de cette rencontre. Les visites en Wiltshire se firent alors plus fréquentes...
    L'intérêt porté par le marquis à la jeune Alexandra produisit bientôt ses fruits et, à la fin de l'année universitaire, les signes annonciateurs d'une grossesse commencèrent à apparaître. Que faire ?

7 - Préparation secrète


    Si, par erreur ou concours de circonstances, la nouvelle d'une aventure extra-conjugale du marquis était connue à Londres, notamment dans les milieux politiques, le "Times", le "Morning Post" ou d'autres en feraient des gorges chaudes. L'affaire pourrait nuire aux actions du Parti Conservateur dont l'objectif était de renverser le cabinet de Sir John Russell, libéral, en place depuis 1846. Ce dernier avait remplacé le cabinet conservateur de Robert Peel auquel participait le marquis de Salisbury.
   La 1ère épouse du marquis était décédée en 1839. En 1845, le marquis avait connu la jeune Alexandra qui avait alors 21 ans. Cependant, l'opportunité d'une alliance intéressante se présenta en 1847 et le marquis convola à nouveau en avril de cette année-là avec une riche descendante de noblesse suédoise. L'annonce d'une paternité bâtarde, initiée en avril également, aurait fait grand bruit dans le monde fermé et puritain de l'aristocratie européenne du XIXème.

    Alors, décision fut prise en juillet 1847, d'un commun accord, de ménager tout ce petit monde et d'éloigner momentanément la future maman de l'Angleterre. Il fallait éviter la région d'Evreux, trop proche des premiers comtes de Salisbury. Il serait plus judicieux de choisir la région de Caen qui est le fief d'origine des "de Bures".


    Les relations entretenues depuis toujours avec les "cousins" Normands du continent allaient être cette fois très utiles.
     C'est la baronne Elizabeth de Buron qui fut chargée de l'affaire. Deux semaines étaient nécessaires en 1847 pour acheminer le courrier d'Angleterre en France. Afin de ne pas subir les aléas de la poste entre l'Angleterre et la France, elle décida de se déplacer elle-même en Normandie pour convaincre son cousin Edouard, avec qui elle correspondait régulièrement, de recevoir sa fille pour un séjour prolongé. Le cousin résidait à Caen. Il occupait les fonctions d'intendant du château qui avait été transformé en caserne et magasin militaire pendant la révolution de 1789.

- Château de Caen - Porte des Champs - en 1848 -  
   En France, la Révolution avait entraîné d'énormes bouleversements sociaux. Certains membres de la noblesse avaient dû faire en sorte de se fondre dans la masse pour éviter les tribunaux du peuple et la guillotine. Pour cela, ils avaient parfois fait modifier leurs patronymes et supprimer les particules.
   La branche normande des "de Buron" (ou de Bures) était tout simplement devenue : Beuron. Le cousin s'appelait désormais Edouard Beuron. Il était dans une situation financière difficile mais son emploi lui permettait de vivre décemment.

   En son absence, la baronne confia le manoir de Cranborne à la garde de sa fille en la chargeant de réunir les effets nécessaires à un séjour de 5 à 6 mois loin de Salisbury. Sans oublier de prévoir ce qui serait nécessaire pour l'enfant à la naissance... si la grossesse allait à son terme.

Coupé fermé anglais 1847

   Le voyage commença en utilisant discrètement le coupé fermé du marquis afin de ne pas éveiller les soupçons du voisinage et éviter les relais de poste du comté pour se rendre au port de Southampton (1 seule journée suffisait pour ce court trajet d'environ 30 km).

Steamer à roues à aubes
    La liaison maritime inaugurée au début de 1844 avec la mise en service du SS Wonder, un steamer à roues à aubes, permettait de relier Southampton et l'ouest de la Normandie par le port de Granville ou celui de Saint-Malo en desservant  les Iles Anglo-Normandes en escale. Il fallait 4 jours pour effectuer la traversée. Deux ou trois jours étaient nécessaires ensuite pour rallier Caen à partir de Granville. L'ensemble du périple, en tenant compte des attentes inévitables, dura par conséquent 8 longues journées.
Express Granville-Caen en 1847

   Edouard Beuron avait accepté de rendre le service demandé. Son logement de fonction situé à la Porte des Champs, dans la partie du château de Caen située à l'Est, conviendrait pour héberger discrètement la jeune maman durant les derniers mois de la grossesse. Le dédommagement fût convenu, à la charge du marquis. Cet argent serait le bienvenu pour améliorer la vie au quotidien.

   Le retour vers l'Angleterre s'effectua sur la même liaison maritime, par le bateau suivant, une semaine plus tard.

   Nous étions fin juillet, le temps pressait. Alexandra avait préparé les bagages nécessaires. En plus de ses effets personnels, elle avait réuni un trousseau pour bébé en choisissant des vêtements et du linge dans les armoires du manoir qui contenaient les affaires ayant servi aux 6 enfants du marquis (de son premier mariage). Les vêtements étaient neutres, blancs et ne comportaient qu'une broderie discrète ne permettant pas de les identifier.

   Tout était en ordre pour attaquer le séjour normand.

8 - Exil temporaire sur les terres ancestrales


   Le bateau partant de Southampton le lundi, il fut décidé de partir de Cranborne le samedi matin la plus tôt possible en mobilisant à nouveau la voiture du marquis pour ne pas utiliser le service de diligences.
   La baronne accompagna sa fille durant le voyage et le court séjour de 2 nuits à Southampton. Alexandra monta seule à bord, prit possession de sa cabine, fit déposer ses bagages et revint saluer sa mère depuis la passerelle au moment du départ.

   Il avait été convenu avec le cousin Edouard Beuron qu'il viendrait chercher la jeune femme à Granville pour l'accompagner jusqu'à Caen. C'est la raison pour laquelle la baronne avait accepté de laisser sa fille faire le trajet maritime seule avec le concours et la surveillance discrète du commandant de bord.

   Le voyage se déroula sans accroc, le temps resta ensoleillé et la visite d'escale à Jersey ajouta de l'intérêt à la traversée. Le cousin fut présent au débarquement et la voiture réservée s'avéra suffisamment confortable pour éviter des problèmes à la future maman pendant les 2 jours nécessaires au trajet.

Château de Caen vu de la Porte St Pierre
   L'attente commençait. Il avait été prévu avec Elisabeth de Buron que, le moment venu, l'accouchement aurait lieu chez Anne-Victorine Beuron, demi-soeur d'Edouard, qui exerçait la profession de sage-femme. Elle habitait rue Graindorge, près du château, dans le quartier historique de la ville. Pour arrondir ses fins de mois elle accepterait en plus de s'occuper de l'enfant jusqu'à sa majorité, contre rémunération bien entendu. Tout cela devrait évidemment rester secret pour ne pas éveiller la curiosité de ceux qui pourraient essayer de remonter la piste pour en tirer un quelconque profit. Alexandra resta cachée dans l'immense enceinte du château pendant toute cette période d'attente.



9 - Naissance

   Puis vint le 18 janvier...Dès le matin, le bébé se manifesta plus fréquemment, les contractions se rapprochaient. Vers 15 heures, l'activité s'atténua. Alexandra prépara ses affaires, prête à se rendre chez la sage-femme. Elle espérait tout de même pouvoir attendre la tombée de la nuit pour sortir aussi discrètement que possible par la poterne sud. Il était prévu que Edouard aide Alexandra pour sortir du château et la laisse aller seule ensuite...si son état le permettait...

   Nous connaissons la suite... Bien que le trajet fut très court, Alexandra avait un peu trop attendu pour bénéficier de l'obscurité et la "perte des eaux" (selon l'expression populaire) se produisit, dans la rue Graindorge, sur le perron de la maison d'un avoué voisin de la sage-femme (voir chapitre 2). Malgré cet incident le scénario se déroula comme souhaité et le bébé fut déclaré "enfant naturel",  par Anne-Victorine Beuron, dès le lendemain (voir chapitre 2 ci-dessus). La jeune maman put rejoindre le cousin qui se chargea de l'organisation du retour en Angleterre après avoir informé la baronne du succès de l'affaire par courrier postal. Ni vus, ni connus...

   La présence de l'homme de loi à la fin de l'accouchement ajouta de la crédibilité au récit de la sage-femme à qui, comme souhaité, fut confiée la garde de l'enfant par les autorités administratives.


10 - Enfance

Situation générale en France

  Après la Monarchie de Juillet au pouvoir depuis 1830, avec Louis-Philippe 1er, roi  des français, l'année 1848 vit l'avènement de la 2ème République à laquelle succédera le Second Empire de 1852 à 1870.
  Ce fut, en France, une période très difficile qui conduisit, dans certaines régions comme celle de Basse-Normandie, surtout à Caen, à une récession et à un recul marqué de l'activité industrielle.
  Le retour à une certaine croissance n'intervint que vers 1880.
  L'instabilité politique de la période n'est que l'une des causes de la récession. Un autre facteur important correspond au déclenchement de la guerre de Sécession aux Etats-Unis en 1861 qui entraîna la rupture des approvisionnements de coton destiné aux activités textiles qui constituaient la colonne vertébrale de l'industrie en Basse-Normandie.

Louis Blanc

1 - Petite enfance 

  Au début des années 1850, les époux Blache déménagèrent rue Caponière, toujours à Caen.
  A cette époque les petits français allaient théoriquement à l'école primaire de 6 à 13 ans. En réalité ils n'y allaient pas tous et, en fait, certains scolarisés étaient retenus périodiquement à la maison ou à la ferme lorsqu'il fallait aider la famille (foins, moissons...). Le certificat d'études fut créé en 1866 et rendu obligatoire en 1882.
  Pour Louis, les conditions de vie n'étaient pas faciles. Sur le modèle mis en place par l'industriel Richard-Lenoir au début du XIXème siècle (accueil des enfants abandonnés à partir de 10 ans pour leur assurer un modeste revenu tout en continuant le soir à leur faire suivre une instruction remplaçant l'école), l'abbé Le Veneur avait créé près de l'Abbaye aux Dames (rue d'Hérouville) un établissement qui accueillait des orphelins pour leur apprendre un métier : cordonnier, tisserand, forgeron, etc...


Institut Lemonnier en 2012
 rue d'hérouville
  Louis fut intégré dans cette structure pour se former aux métiers du textile. Il y resta jusqu'à la fin de sa scolarité en 1861. Cette institution, très critiquée sur le plan hygiène et conditions de travail subsistera tant bien que mal jusqu'en 1926, année de prise en mains par un groupe de Salésiens (chrétiens disciples de St François de Sales et de Don Bosco). Cet établissement deviendra l'Institut Lemonnier.

Nota. L'Institut Lemonnier collaborait, notamment de 1954 à 1958, avec l'Orphelinat de Giel dans l'Orne au moment du séjour de l'arrière-petit-fils de Louis dans cet établissement qui accueillait alors orphelins et non-orphelins. Des cours étaient dispensés à Caen à l'Institut Lemonnier, 2 fois par semaine, pour compléter la formation au BEI de Mécanique Générale qui venait d'être créée à Giel. Les 2 établissements étaient gérés par les Salésiens.


Entreprise de fabrication de filets en 1860
2 - Au travail à Caen

  En 1861, l'entreprise FILT, implantée récemment rue Gallieni à Caen embaucha Louis pour assurer la manutention et les approvisionnements de postes de travail dans cette usine qui employait surtout des femmes pour la fabrication de filets en tous genres.

Filets FILT (2012)




Filets FILT (2012)



  A partir de 1860 les approvisionnements de coton devinrent difficiles à cause de la montée des cours mais surtout, comme indiqué plus haut, du déclenchement de la guerre de Sécession aux Etat-Unis.
  Initialement approvisionnés par le coton des Antilles à la fin XVIIIème siècle et au début du XIXème pour les productions artisanales, les Normands dépendaient beaucoup, dans cette 2ème moitié du XIXème, pour faire face à l'industrialisation, des importations des Etats-Unis qui assuraient alors une grande part de la production mondiale. Dans un marché global bouleversé, les français recherchèrent progressivement d'autres sources, notamment Inde et Egypte.
  La fabrication de filets n'employant pas seulement du coton, l'entreprise put, malgré les difficultés, poursuivre son activité durant cette période charnière. Par contre, la récession dans l'industrie textile entraîna une recrudescence de chômage en Normandie, notamment à Caen.
  Louis continua cependant de travailler pour cette entreprise jusqu'en 1873.

Nota. Nous ne possédons aucun élément sur le parcours militaire de Louis. Il faut noter qu'à cette époque, de 1803 à 1905, l'obligation de service militaire se faisait par tirage au sort.

 11- Travail - Famille
Gare de Condé-sur-Noireau 1899


La locomotive Crampton 1845








  Un événement crucial intervint en 1873. En effet, cette année-là, les territoires du sud du Calvados et de l'ensemble du département de l'Orne furent désenclavés grâce à la mise en service de la liaison ferroviaire Caen/ Laval qui passait par Condé-sur-Noireau et Flers-de-l'Orne. Ce chemin de fer était essentiellement justifié par la demande pressante de l'industrie textile de la région de Condé/Flers, mais aussi par le transport des produits miniers de la région (St-Clair-de-Halouze dans l'Orne par exemple). Cet équipement conjugué avec la normalisation des approvisionnements en coton sur le plan mondial entraîna un redémarrage de l'industrie textile cotonnière du sud du Calvados qui reprit des couleurs et, par conséquent, les embauches de tisserands.

Carte récente de la Suisse Normande
  Louis fut informé de la pénurie de personnel dans la région de Condé grâce à son entreprise de Caen qui cherchait à cette période à réduire le personnel à cause de la crise à Caen.
  Dans la presse de mars 1873 (journal "Petites nouvelles du Calvados, de l'Orne et de la Manche") concernant la Basse-Normandie, des propositions d'emploi furent diffusées, provenant notamment de Condé et de St-Pierre-du-Regard.
  Avec Edouard Lenoir, un collègue dans la même situation que lui, Louis posa sa candidature pour les postes vacants en filature et tissage. La lettre rédigée avec le concours de ses patrons fut postée le 24 mars.

Contexte industriel  de Basse-Normandie

  A cette période, grâce à la reprise de l'activité cotonnière, les filatures de la région de Condé/Flers réinvestissaient notamment dans l'énergie vapeur qui se développait dans toute la France (ferroviaire, steamers, industries...).

La filature du Baronnet en 1873
Le Baronnet en 2012















  Les industriels possédant l'usine 
du Baronnet sur la commune de St-Pierre-du-Regard (Canton d'Athis-de-l'Orne), dans la vallée de la Vère, procédèrent, au début des années 1870, à un agrandissement sur la rive gauche de la rivière et à la mise en service d'une machine à vapeur qui permettrait de pallier les insuffisances de l'hydraulique installée en 1853 à la construction des premiers bâtiments (rive droite de la rivière sur la photo de 2012). La présence de la cheminée sur la photo de 1873 ci-dessus atteste de l'utilisation de l'énergie vapeur.
  L'usine de la Martinique à 1km en aval avait été également équipée d'une machine à vapeur dès 1865. Le principe "hydraulique complété par la vapeur" s'est en effet généralisé dans l'industrie à cette période afin d'éviter de subir les épisodes de sécheresse et les baisses de débit de la rivière en été. A la fin du XIXème siècle, l'arrondissement de Domfront comptait 28 000 métiers à tisser et 96 000 broches de filatures pour 42 000 ouvriers et plusieurs centaines de sites.

Louis Blanc

Louis Blanc

  Dans ce contexte de reprise d'activité textile dans la région de Condé et de Domfront, Louis reçut à Caen une proposition de travail provenant de la filature du Baronnet à St-Pierre-du-Regard près de Condé. L'usine du Baronnet augmentait sa production. 
Gare de Condé-sur- Noireau

  Avec son ami Edouard, il profita de la mise en service de la liaison ferroviaire Caen/ Flers le 12 mai 1873 pour effectuer confortablement le voyage Caen/Condé. 
  La commune de St-Pierre-du-Regard assura l'accueil de ces nouveaux arrivants et leur affecta un logement au plus près de leur lieu de travail. En effet, le trajet domicile/travail à cette époque se faisait, la plus souvent, à pied (la bicyclette ne se démocratisera qu'au début du XXème siècle). Ce fut l'installation au village du Petit-Samoi qui se trouvait à environ 20 minutes de marche du Baronnet en utilisant les chemins campagnards.
  La ferme qui les accueillait avait été aménagée, genre pension de famille, pour recevoir les hommes et les femmes séparément. Les conditions de vie étaient "rustiques" mais le gite et le couvert étaient assurés.

  La routine s'installa : lever, trajet, boulot, trajet, repas, sommeil... 6 jours sur 7.

  L'arrivée en juillet 1876 d'une belle jeune fille prénommée Victorine dans la maison voisine du Petit-Samoi bouleversa le train-train de notre tisserand/fileur de coton. C'est l'oncle de la jeune fille qui, à la demande de la famille de celle-ci, accueillait sa nièce dans sa maison au coeur du village.
  Victorine avait 18 ans. Elle avait été embauchée pour travailler à l'usine du Baronnet qui poursuivait son expansion.

  Les trajets Petit-Samoi/Baronnet se firent ensemble, aussi souvent que possible, au gré des horaires de chacun (et chacune).



Acte de mariage de Louis Blanc
 le 4 août 1877 à St-Pierre-du-Regard
Acte de mariage (suite)


Acte de mariage (suite et fin)
  
  






  Chemin faisant, au fil des jours et des confidences, Louis et Victorine filèrent le parfait amour et tissèrent la trame de leur vie de famille. Leur engagement fut concrétisé le 4 août 1877 en la mairie de St-Pierre-du-Regard. Louis avait 29 ans et Victorine 19 ans.

  Leur premier enfant, nommé par erreur Georges Leblanc au lieu de Georges Blanc, naquit au Petit-Samoi le 8 août 1878, toujours chez l'oncle Jacques qui continuait d'héberger le jeune couple. La tante s'occupait du bébé en l'absence des parents.

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* Fac-similé de la déclaration de naissance  de Georges Blanc déclaré Leblanc :




  * C'est suite une erreur d'écriture survenue à la déclaration de naissance que le 1er enfant, Georges, fut nommé Leblanc. Le secrétaire de Mairie de St-Pierre-du-Regard a nommé le père:  Leblanc Louis au lieu de Blanc Louis. Le maire a ensuite confirmé. Le fac-similé montre bien que le père a signé  L Blanc.  Aucune modification ne fut demandée par la suite.

   Les 7 autres enfants furent nommés : Leblanc puis Blanc.

- Céline Leblanc - 11/09/1879 à St-Pierre-du-Regard - Petit Samoi    D: 27/09/1879 âgée de 16 jours.
Descendance de Louis BLANC
- Elise Blanc - N:12/09/1881 à St-Pierre- du-Regard - Hameau du Bourg - M : Léon Robert 02/05/1910 - D: 1936
- Charlotte Blanc - N: 8/07/1885 à Condé-sur-Noireau, rue St Jacques (déclarée avec les prénoms de Rosalie, Louise et figurant au recensement de 1896 sous le prénom de Charlotte) - D: 8/10/1956 au Couvent de Plouguernével (22).
- Fernand Blanc - N: 20/06/1886 à Condé-sur-Noireau, rue St Jacques - domicilié à Evreux en 1910 - D: ?
- Germaine Blanc - N:19/11/1888 à Condé sur Noireau, rue du Chêne - M: Marius Lebourhis le 6/12/1911 (MPLF) puis Lucien Gallois le 9/04/1927 - D:27/9/1976 à Crosne.
- Gaston Blanc - N:4/1/1892 à Condé-sur-Noireau, rue du Chêne - M:le 26/11/1932 à La Forêt-Auvray - D:15/05/1953 à la Forêt-Auvray. (Classe 1912 - Matricule 639 - Argentan - Croix de guerre).
- Raoul Blanc - N:14/05/1894 à Condé-sur-Noireau, rue du Chêne - M: à Bréel le 28/07/1920 - D:1/11/1957 à Caen (Classe 1914 -Matricule 525 - Argentan - Croix de guerre).


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  La petite enfance de Georges se déroula à St-Pierre-du-Regard mais l'enfant était de nature chétive et il sembla préférable à la famille de se rapprocher de la ville pour qu'il puisse être scolarisé dans de bonnes conditions et être suivi par la famille de Victorine qui habitait rue St Jacques puis au quartier du Pont-Cel, à Condé-sur-Noireau.

  Nota. Le bourg de St-Pierre-du-Regard, situé dans le département de l'Orne, est collé à la ville de Condé, située dans celui du Calvados. Le cours du Noireau constitue la limite départementale.



Filature des Îles (fin XIXème)
  Pour cela, il fallait trouver un emploi aussi proche que possible du Pont-Cel. Au début de l'année 1884, Victorine et Louis profitèrent d'une opportunité qui leur convenait géographiquement.

Banc à broches Mule-Jenny - fin XIXème -
Sortie Condé vers Pontécoulant
 rue du Chêne et usine des Îles en haut à gauche










  Ils répondirent à une offre d'embauche de Philippe Bazin et participèrent au démarrage, à la "Filature des Îles", d'une production de nouveaux fils de coton réalisés sur du matériel que l'industriel venait d'acquérir en Angleterre. La "Filature des Îles" est implantée à la sortie de Condé sur la route de Pontécoulant.



Rue du Chêne à Condé-sur-Noireau
Le n°34 est au fond à gauche sur cette carte postale d'époque

  Victorine et Louis s'installèrent à Condé. Tout d'abord au 21 de la rue St Jacques chez Victorine Fougeray la mère de Victorine Lebailly (épouse de Louis Blanc), puis au 24 de la même rue. Nous les retrouvons également au 34 de la  rue du Chêne, chez Emilien Lebailly, frère de Victorine qui accueillit sa soeur pour l'accouchement des 3 derniers enfants.

  Après Georges, les enfants naquirent donc: Céline et Elise à St Pierre-du-Regard puis Charlotte, Fernand, Germaine, Gaston et Raoul à Condé, en 1879, 1881, 1885, 1886, 1888, 1892 et 1894.

  A la suite de son 8ème enfant, Victorine se consacra à sa famille, elle ne reprit pas le travail à l'usine.

  Les mouvements sociaux de la fin du XIXème siècle, à Condé, n'eurent pas d'influence notable sur le travail de la filature des Îles. Les manifestants s'en prenaient surtout à l'entreprise Lehugeur, le plus gros employeur de Condé, qui voulait réduire les rémunérations de 15% afin d'améliorer la productivité. La grève de 1897 ne permettra pas aux socialistes de s'implanter durablement dans le bassin d'emploi. Le travail reprendra avec quelques maigres résultats pour la classe ouvrière. Il faut noter qu'à cette époque les salaires payés dans la région étaient plus élevés que partout ailleurs. Les ouvriers traitaient directement avec les patrons sans passer par des organisations syndicales.

   Louis décéda le 19 juin 1907 à Condé-sur-Noireau. Il venait d'avoir 59 ans. 

Nota. Le cancer du scrotum (testicules), fréquent chez les conducteurs de bancs à filer, était, à la fin du XIXème la cause principale des décès prématurés. C'est l'huile minérale (huile de schiste), utilisée pour le graissage des broches, qui, projetée sur les pantalons par la rotation des broches, était à l'origine de ce cancer.

   Après son décès, sa fille Germaine s'intéressa au parcours de son père et essaya de remonter la piste jusqu'à Caen et l'Angleterre. Elle retrouva les descendants de la famille Blache rue Caponière, à Caen. La version transmise oralement par son père se trouva confirmée, au détail près, mais aucun élément complémentaire ne permit de faire progresser la recherche d'hérédité.

  Nota. Depuis 2016, suite à un regroupement de communes, Condé-sur-Noireau s'appelle Condé-en-Normandie.
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II - Georges LEBLANC


1 - Qu'advint-il de Georges, le fils aîné de Louis Blanc


Ecole des Vergées - Quartier St Sauveur - Condé-sur-Noireau
  L'installation de la famille à Condé-sur-Noireau permit à Georges de bénéficier d'une scolarisation à l'école primaire des Vergées, d'excellente réputation. 
  Après un parcours sans histoires, il fallut envoyer le petit Georges au travail pour contribuer à la subsistance à la maison. En 1889, la famille comptait déjà 5 enfants vivants (2 autres viendront ensuite).

  Bien qu'initiée en 1793 au moment de la Révolution, l'instruction obligatoire (laïque et gratuite), de 6 à 13 ans, ne fut définitivement promulguée qu'en 1882 avec en plus l'instauration du Certificat d'Etudes Primaires. Toutefois, cette loi, toujours en vigueur de nos jours avec quelques adaptations, n'impose pas la présence dans une école de la République. Les parents peuvent décider librement de choisir l'école privée, ou un précepteur, ou même, d'assurer l'instruction de leurs enfants au sein de leur famille. 


Boulangerie Tessier et pâtisserie Hartmann
  Les impératifs de subsistance familiale prévalaient encore à cette époque et, dans les familles modestes, les aînés participaient souvent aux revenus de la maison dès 11 à 12 ans. 
  Ce fut le cas de Georges qui fut placé, à la fin de l'année 1889, comme commis à la boulangerie Aubry de la rue du Chêne, puis, plus tard, chez le boulanger Tessier au centre ville, rue du Vieux-Château. La proximité du pâtissier Hartmann permit, par ailleurs, à notre apprenti de s'intéresser à la pâtisserie et de compléter ainsi sa formation professionnelle. 
  Il faut noter que, malgré le handicap du départ anticipé de l'école, Georges fut crédité, au test de culture générale, d'un excellent 3 sur 5 lors du conseil de révision militaire.


2 - Parcours professionnel et obligations militaires

  Chacun peut souhaiter faire une carrière militaire, mais Georges n'eut pas le choix. Depuis 1804, c'était par tirage au sort que les jeunes étaient appelés "sous les drapeaux". Les bourgeois pouvaient, devant notaire, payer pour être remplacés. La conscription généralisée reviendra plus tard, en 1905. L'égalité s'appliqua de nouveau à partir de cette date!
  Voici la fiche signalétique militaire de Georges LEBLANC, qui fut tirée au sort sous le n°29 à Condé-sur-Noireau au titre de la classe 1898 :


Recto du document
Verso du document




















  La première ligne du verso indique clairement que Georges a été ajourné par rapport à ses obligations militaires en 1899 et 1900. Il a été ensuite affecté, en 1901, aux services auxiliaires pour cause de "faiblesse" (indice faisant intervenir la taille, le poids et le tour de poitrine). La profession de boulanger convenait parfaitement pour l'intendance de l'armée. Son affectation était définie, en cas de mobilisation, à la 3ème section du COA de Falaise (Commis et Ouvriers d'Administration).


Etat signalétique Georges Leblanc
suivi des domiciles successifs de 1902 à 1912
Auxconfins du Calvados et de l'Orne
(Merri = camp celtique)

  A partir de 1902, on suit parfaitement le parcours de notre boulanger grâce à l'obligation de déclarer les adresses de résidence pour que l'Armée Française puisse agir en cas de nécessité : Briouze en 1902, Mortain en 1903, Condé en 1904, Merri en 1904, Argentan et Joué-du-Bois en 1906 puis Vimoutiers en 1907.

 Année 1907

  La disparition de Louis, le chef de famille, en 1907, entraîna l'explosion du cercle familial.

  Dans les mois et les années qui suivirent :
- Georges continua à parcourir la région grâce à son métier de boulanger et épousa Léontine DENIS en 1910 à Argentan.
- Charlotte s'engagea au Couvent/Séminaire/Hopital de Plouguervénel.
- Elise épousa Léon ROBERT à Condé-sur-Noireau en 1910.
- Germaine s'orienta vers Paris (mariage en 1911 avec Marius LEBOURHIS dans le XXéme arrondissement, puis en 1927 avec Lucien GALLOIS dans le XVéme).
- Fernand, Gaston et Raoul suivirent leur mère à Bréel, dans l'Orne, ou elle se remaria en 1909 avec Joseph DUDEMAINE, né à Bréel en 1858 (décès Victorine le 15/05/1932 à Bréel).


Mariage d'Elise BLANC avec Léon ROBERT le 2 mai 1910 à Condé-sur-Noireau (14)
A droite de la photo, au 2éme rang : Georges LEBLANC et Léontine DENIS qui se marieront le 19 juillet 1910 à Argentan (61)
 Germaine BLANC et Emilia LECONTE (née LEBAILLY, soeur de Victorine) sont à droite au 3éme rang
Charlotte BLANC à côté de Léon ROBERT

 Argentan

  En 1907, le maillage militaire de la France s'appuyait sur des villes-garnisons comme Falaise ou Argentan pour la Normandie. 

10éme brigade de cavalerie à Argentan
  La ville d'Argentan hébergeait un centre militaire qui prenait beaucoup d'importance à cette époque et profitait de sa proximité avec la région d'élevage de chevaux du Haras du Pin pour développer ses attributions.
Le Haras du Pin




  De plus, placée sur la ligne de chemin de fer Paris/Granville, la ville d'Argentan représentait un noeud ferroviaire important, notamment pour l'Armée Française.



Etat signalétique militaire Georges Leblanc
liste des domiciles successifs de 1902 à 1912

  En 1907 également, les longues grèves des tisserands de la région de Flers entraînèrent une grande misère et un exode momentané des enfants en Bretagne. L'avenir de l'industrie textile dans le bassin d'emploi Flers/Condé ne semblait pas garanti !

  Georges décida d'orienter ses recherches d'emploi dans cette région d'Argentan.

  En 1907 Georges travailla à Vimoutiers, en 1908 à Bourg-St-Léonard et à Mortagne, en 1909 à St Evroult-du-Bois mais aussi à Montmerrei.

  Lors de son séjour à Montmerrei en 1909, notre boulanger fut hébergé chez G. Piednoir dans le bourg. Il y rencontra et y fréquenta Léontine DENIS employée comme blanchisseuse et femme de chambre.

  Leur complicité fut parfaite puisqu'ils furent invités au mariage d'Elise, la soeur de Georges, à Condé-sur-Noireau en mai 1910 (voir photo de mariage d'Elise au chapitre "Année 1907"ci-dessus).


Argentan - rue de la Chaussée
    Auparavant, quand il se trouva à nouveau sans emploi en 1910 Georges se rapprocha d'Argentan et s'engagea à la boulangerie DUBOIS, rue de la Chaussée.



Mariage Georges LEBLANC avec Léontine DENIS
 le 19 juillet 1910 à Argentan

  D'abord hébergé chez son patron, il loua ensuite un logement au 59 de la rue de Paris pour y accueillir Léontine qui avait accepté de le suivre dans la vie.

  Ils se marièrent à Argentan le 19 juillet 1910.

Argentan - Rue de PARIS

Descendance Georges LEBLANC

  Ils eurent 3 enfants : René en 1911 à Argentan, Fernande en 1913 à Argentan également et Georges en 1920 à Courménil dans la famille de Léontine (après le retour de Palestine et le décès de Georges le 12 février 1920 - voir ci-après en 2-6).


Conflit de 1914

  Suite à l'assassinat de l'Archiduc François-Ferdinand d'Autriche-Hongrie à Sarajevo le 28 juin 1914, les déclarations, mobilisations, confrontations et annexions territoriales embrasèrent l'Europe, le Proche-Orient et l'Afrique de l'est. La guerre sous-marine et la sollicitation des empires coloniaux des différents belligérants entraînèrent la globalisation du conflit. La 1ère guerre mondiale était déclenchée.


  Le 2 août 1914, l'ordre de mobilisation générale parut en France. Pour ce qui le concerne, notre boulanger fut convoqué le 16 décembre 1914 à la caserne Molitor d'Argentan et son affectation aux Services Auxiliaires (COA) fut confirmée.


ETEM de Vernon
 (Escadron du Train des Equipages Militaires)



  Il fut en conséquence rappelé 
sous les drapeaux et incorporé à la 3éme section des COA le 20 février 1915 à Falaise au titre des Services Auxiliaires, puis dirigé sur le S.M. (Service Médical) de Vernon le 1er mars 1915. La base de Vernon comprenait un hôpital, un parc de réserve d'artillerie et un atelier de construction et de réparation de matériel. 
  Maintenu Services Auxiliaires par 2 fois à Vernon le 15 juillet et le 23 septembre 1915, il fut classé "Service Armé" le 27 avril 1916 par la commission de Vernon et intégra la 3éme compagnie affectée à la boulangerie de campagne.

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  Malgré quelques permissions obtenues pour voir sa famille, Georges s'ennuyait fermement et supportait de plus en plus difficilement la vie de garnison, même dans cette belle région de l'est de la Normandie.


Marseille - Le vieux port
  Il se porta volontaire pour intégrer l'Armée d'Orient qui était en cours de formation à Marseille. Le télégramme de convocation arriva le 3 décembre 1916. Georges partit le jour-même en RDC (Radié du Corps) et arriva - enfin - le 1er mars 1916 à la 15ème Section du COA de Marseille.


Caserne Grignan à Toulon (112ème)



  Georges fut caserné au 112ème Régiment d'Infanterie à Toulon en attendant le départ pour l'Armée Française d'Orient au titre de la 15ème section du  COA de Marseille qui couvrait la totalité de la 15ème région militaire.

  Il rejoignit enfin le 40ème RI (habituellement caserné à Nîmes) au Camp Mirabeau à Marseille le 11 janvier 1917. Ce régiment, engagé jusqu'alors sur le front de Champagne, était passé par Toulouse du 23 décembre 1916 au 10 janvier 1917 pour se rééquiper en unité d'Orient (mules à la place des voitures par exemple) et envoyer tout le monde en permission. 


Marseille - Les boulangers hindous  
  La place de Marseille était alors une des plus importantes bases arrières de l'armée française. Il fallait supporter les unités combattant sur les théâtres d'opérations du nord-est du pays.

  Le port assurait le débarquement et l'hébergement des unités combattantes venant principalement d'Afrique et d'Inde mais aussi un fort contingent de l'armée anglaise. Par ailleurs la ville comptait également une multitude de centres de soins et d'hôpitaux grands ou petits qui permettaient aux blessés de se rétablir et se reposer.

3 - Départ vers l'Orient


Le Colbert en 1917 
  A l'embarquement, Le 40ème fut réparti sur 3 navires différents :

 a) Georges prit place dès le 12 janvier à bord du "Colbert" avec une partie de L'Etat-Major et une fraction de la CHR (Compagnie Hors Rang qui comprenait plusieurs éléments dont la 15ème section du COA de Marseille). Le Colbert largua les amarres pour Salonique le 13 janvier 1917.


Paquebot Paul Lecat

b) Une autre partie du régiment s'embarqua le 15 janvier sur le paquebot "Paul Lecat" qui partit le 16 pour Salonique (arrivée le 21 à Salonique).



Transport Amiral Magon 

c) Le reste du 40ème fut dirigé vers le transport "Amiral Magon" le 20 janvier. Départ le jour même.

  Le navire fit route normalement pendant 4 jours, du 20 au 24, d'abord au sud vers Bizerte puis cap à l'est. Le 25 le bateau fut torpillé à 11h10 par un sous-marin allemand au large de Bizerte. Il coulera en 9 mn entraînant la mort de 209 marins et soldats qui n'avaient pas pu être récupérés par les bâtiments d'escorte, les contre-torpilleurs l'Arc et la Bombarde. Cependant, 801 marins et soldats furent sauvés.
  Les rescapés furent transférés sur l'île de Céphalonie près de Corfou. Ils réembarquèrent sur le Mustapha II et le Charles Roux et atteignirent Salonique le 3 février 1917.


Camp français à Salonique

  Le 40ème RI fut reconstitué totalement le 4 février à Salonique, au camp de Zeitenlick et au camp des Orientaux.





Conflit généralisé

  Depuis 1914 la guerre faisait rage au centre de l'Europe, surtout en France. Par le jeu des alliances et des colonies, beaucoup de nations étaient concernées. A partir de 1915/1916, l'Italie et la Grèce rejoignirent la Triple entente formée initialement par la France, le Royaume-Uni et la Russie pour combattre la Triple Alliance constituée par l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie (Empires centraux) rejoints par la Bulgarie dès 1915. L'Italie changera de camp en 1915 remplacée par l'Empire Ottoman.

  Loin des théâtres d'opérations de la Somme, de Verdun ou du Chemin des Dames pour ne citer que les plus connus, les canons tonnent dans les Balkans.


Alliances guerre 1914 à 1919
  Imaginée par W. Churchill pour créer un deuxième front, l'opération du détroit des Dardanelles en 1915 se termina par un échec pour la coalition alliée dirigée par les anglais.


Débarquement à Gallipoli - Dardanelles


 L'armée turque commandée par le général Von Sanders, conduite sur le terrain par le futur Ataturk (Mustapha Kémal), repoussa le corps expéditionnaire et l'empêcha ainsi d'ouvrir le passage des détroits vers la mer Noire. L'objectif initial visé était de désenclaver la Russie par le sud pour libérer la voie d'approvisionnement vers la Méditerranée et permettre d'utiliser ailleurs les moyens de la marine russe de Crimée.

Les Balkans en 1913
après 2 guerres balkaniques (1912 et 13)
  Grâce à l'intercession du premier ministre Vénizelos et contre l'avis du roi Constantin, les alliés se replièrent sur la Grèce continentale à Salonique en mai 1915. Suite à cette intervention, le premier ministre fut destitué. 
  Les forces alliées repliées à Salonique constituèrent l'Armée d'Orient. Suite à l'entrée en guerre de la Bulgarie et à l'offensive Autro-Hongro-Bulgare, à partir du 6 octobre 1915, cette coalition fut engagée pour apporter de l'aide à la Serbie.

Front Balkans à fin 1916 voir Bitola
Les français à Monastir
  









  La campagne dirigée par le général français Sarrail ne porta pas ses fruits immédiatement. Il faudra attendre novembre 1916 pour que Monastir (Bitola) en Serbie soit repris. On voit bien, sur la carte ci-dessus à gauche, la progression entre juillet et novembre 1916, jusqu'à Monastir. Cette avancée constitue un arrêt de l'invasion germano/austro/bulgare permettant une stabilisation du front et une fixation des forces en présence avant de reprendre l'offensive.



Arrivée des renforts français en janvier/février 1917 à Salonique

Boulangerie de campagne

  Georges, notre boulanger normand participa à la campagne du 40ème RI avec lequel il avait débarqué en janvier 1917 à Salonique.



Ile de Lemnos
 Stockage du vin pour l'Armée Française















  Le régiment résida au camp de Zeitenlick, près de Salonique, en janvier et février 1917. Le 9 mars, l'ordre fut donné de faire mouvement vers le "ravin des Zouaves" ou le bivouac fut installé jusqu'au 10 avril, puis le régiment  entra en fanfare dans la ville de Katerini le 14 avril, acclamé par toute la population.


Le Mont Olympe - La Maison des 12 (ou 14) Dieux de l'Olympe - au sud de Katerini, en été -

Les Météores au sud de Katerini
Mont Olympe en hiver











Cuisine de Campagne - Boucle de la Cerna


 
  Une longue marche, en 7 étapes, mena ensuite le régiment au nord, vers la région de Fiorina et la boucle de la rivière Cerna en Macédoine. Il y stationnera, en réserve, jusqu'au 21 mai.

Roi Constantin 1er
  A cette période, la vie politique en Grèce était très chaotique. Le roi Constantin, prétendument neutre par rapport au conflit qui opposait les Empires Centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) aux forces de l'Entente (France, Royaume Uni et Russie) depuis 1914, souhaitait conserver ses relations privilégiées avec l'Allemagne (le roi Constantin était le beau-frère du Kaiser allemand).
Déchéance Constantin - La foule en liesse




Roi Alexandre 1er
ElefthériosVenizélos
 1er ministre
   Il fut déposé le 10 juin 1917 par les français soutenus par les alliés de l'Entente. L'ancien premier ministre Vénizelos, qui, entre temps, avait formé un gouvernement provisoire à Salonique et qui était favorable à l'Entente, fut sollicité par les français et débarqua à Athènes le 21 juin 1917. Il forma le nouveau gouvernement le 24 à la demande du nouveau roi, Alexandre de Grèce, fils du précédent.



Croiseur CANADA - 1917 -
  Dès le 21 mai, en prévision de cette période délicate, pour garantir la paix civile et gérer la situation très instable à Athènes, le 40ème fut donc dirigé vers Eksilu, puis à nouveau Katerini et enfin Salonique pour embarquer sur le croiseur Canada, vers le port du Pirée, qui sera atteint le 10 juin 1917.

  D'abord cantonné au Pirée, le régiment fut envoyé à Athènes le 25 juin pour un action de maintien de l'ordre. Le 27 juin fut une journée importante pour la politique grecque. En effet, le nouveau roi, Alexandre 1er, fils cadet du roi Constantin destitué, recevait  Elefthérios Vénizelos pour officialiser la mise en place du gouvernement. Les choses se déroulèrent sans incident, les grecs ovationnèrent les nouveaux responsables politiques et la situation demeura très calme et sereine.
  Au vu de cette situation, le 40ème reçut l'ordre de retour vers le Pirée dès le lendemain. La CHR installa l'intendance, la boulangerie de campagne et les cuisines aux "Ecoles".
  Le 2 juillet, la Grèce réunifiée se rangea au côté des alliés contre les Empires Centraux. Les 13 et 14 juillet, des festivités furent organisées à Athènes en hommage à la paix. La Marseillaise et l'hymne national grec furent joués et applaudis par tout un peuple.

  Le 18 juillet le régiment reçut l'ordre de marche vers le front. Cette fois, ce fut le train d'Athènes à Fiorina qui put être utilisé puisque, dans le pays réunifié, le nord devenait accessible par voie terrestre et ferroviaire.

Région de Fiorina et boucle de la rivière Cerna en Macédoine
  Du 4 août au 25 septembre le régiment prit position au sud de Fiorina. Le bivouac fut organisé pour améliorer les conditions de vie désastreuses qui prévalaient auparavant. La cuisine, faite en 1ère ligne, permit aux hommes d'avoir 2 repas chauds et du pain frais préparé, entre autres, par notre boulanger normand.

  Les conditions sanitaires étaient très mauvaises. La malaria faisait des ravages et la prise régulière et préventive de quinine n'était mise en place que depuis quelques semaines.

  Des combats sporadiques eurent lieu jusqu'à la fin du mois de décembre. Les mois de janvier et février furent plus calmes permettant de préparer l'offensive générale qui eut lieu à partir de début septembre 1918 sous le commandement du Général Franchet d'Espèrey. Le 30 septembre 1918, l'armistice fut signé avec la Bulgarie.

  Pour Georges, la situation évolua plus rapidement. Son état de santé ne lui permit pas de rester sur ces positions géographiques difficiles qui empiraient avec l'arrivée de l'hiver. Atteint par ce qu'il était convenu, à l'époque, d'appeler les "fièvres", il fut placé en convalescence et renvoyé vers les installations sanitaires de Salonique le 28 janvier 1918. Il fut ensuite transféré vers l'île de Lesbos et admis à la maison de convalescence installée à Loutra à 20km de Mitylène.
 
Désengagement dans les Balkans - Engagement vers la Palestine


Chypre - Légion d'Orient - Monarga
Chypre - Légion d'Orient
Cuisine et réfectoire 
  







  Après son rétablissement, volontaire pour intégrer le "Détachement de Palestine" qui s'étoffait et manquait de bras pétrisseurs pour nourrir ses ouailles, Georges fut transféré à Chypre, à Monarga, au camp de la Légion d'Orient. Il fut chargé de diriger l'équipe de subsistance constituée surtout d'Arméniens.


Périple : Salonique (au fond de la mer Egée) -
 Lesbos (en mer Egée près des côtes turques)- Chypre
 et enfin Port-Saïd à l'est du delta du Nil (entrée du Canal de Suez)
NB.Voir également la visualisation du parcours complet à la fin du chapître II-5, en fin de blog.


4 - Situation en Palestine en 1918



  Pour les forces armées engagées en Palestine, le chemin passait par l'Egypte, dont la porte d'entrée était Port-Saïd.
  Le principal port d'Egypte était géré par le Royaume-Uni qui l'utilisait comme base de départ pour conquérir la Palestine.
   Commandé par le général anglais MURRAY puis par le général ALLENBY, le corps expéditionnaire égyptien de 70 000 soldats a permis, en 1915 et 1916, de repousser les attaques des Ottomans qui voulaient s'emparer du Canal de Suez pour couper la route des Indes aux occidentaux. Cette armée, en 1917, comprenait également un détachement français de 3 500 hommes ainsi qu'une unité italienne et recevait une participation de l'armée arabe du Hedjaz dirigée par Lawrence d'Arabie et l'émir Fayçal.


Le Levant Sykes/Picot de 1916 et d'aujourd'hui - Voir à gauche les limites de l'Empire Ottoman à l'époque (en bleu)


Port-Saïd - Canal de Suez
   En effet, afin de préserver les chances de la France dans la mise en oeuvre des accords Sykes-Picot, qui détaillaient dès 1916 les conditions de souveraineté territoriale au Levant entre l'Empire britannique et la France, un détachement français avait été constitué et acheminé en 1917 pour marquer la présence française au sein du corps expéditionnaire britannique. Cet effort, de faible ampleur en regard des forces britanniques, était consenti par la France malgré l'impérieuse nécessité de repousser l'Allemagne sur le front européen.


Réseau ferré Egypte/Palestine/Hedjaz
Liaison Port-Saïd/Kantara - Rafah





  En 1917, afin de préparer la conquête de la Palestine, les britanniques construisirent une ligne de chemin de fer pour relier Port-Said à Rafah au sud de la Palestine. Cette liaison permit également la connection avec la ligne du Hedjaz (ligne de chemin de fer "Médine - Damas" construite par les turcs, inaugurée en 1908). De l'aide pouvait ainsi être apportée aux troupes de l'émir Fayçal qui combattaient les Ottomans dans la péninsule arabique. Ces troupes étaient conseillées et accompagnées par le fameux archéo-colonel anglais Lawrence d'Arabie, le héros du désert, par ailleurs favorable aux chefs arabes et opposé à la main-mise de la France sur la Syrie. 

Front de Palestine en décembre 1917



  Après la libération d'Akaba, le 6 juillet 1917, au sud du Sinaï, par les forces arabes dirigées par Lawrence, l'approvisionnement de l'armée d'Allenby par le sud facilita la préparation de la conquête de la Palestine.

  L'offensive menée par cette armée en 1917 se conclut positivement par la prise de Jérusalem le 11 décembre 1917, sans bombardements ou tirs d'artillerie lourde pour éviter la destruction de ces lieux symboliques pour beaucoup.


Entrée dans Jérusalem 11 décembre 1917 


Prise de Jaffa (Tel-Aviv)
le 17 novembre 1917

  Le Général Allenby fit volontairement une entrée sans faste, par la porte de Jaffa, à pied, pour montrer à tous que cette annexion avait un but humaniste non revanchard, par opposition au pèlerinage tonitruant de l'Empereur d'Allemagne Guillaume II en 1898.


Les 8 portes de Jérusalem (NE: quartier musulman - NO: quartier chrétien -
 SO: quartier arménien - Sud: quartier juif - SE Esplanade des mosquées (ou du Temple)




  Voici, dans la partie haute sur la carte ci-contre, la situation exacte du front, le 11 décembre 1917, de Jaffa à Jéricho en passant par Jérusalem.



Offensive de 1918 en Palestine

Artillerie lourde britannique sur le front du nord de la France
   En France, en 1917, les combats furent aussi violents qu'en 1916. L'armistice demandé par la Russie, suite à la chute de l'Empire russe en mars 1917 et à la révolution bolchevique en octobre de la même année, avait permis à l'Allemagne de dégager des forces fixées jusque-là sur le front de l'est pour renforcer leurs unités engagées à l'ouest. Les armées françaises mais également britanniques et alliées étaient alors fortement sollicitées. Cependant, l'entrée en guerre des Etats-Unis le 6 avril 1917 apporta progressivement un souffle nouveau à la confrontation. 
  Une partie du contingent égyptien du Royaume-Uni (60 000 militaires) fut rappelée sur le front de la bataille de France pour contenir l'attaque allemande en Flandre, en Picardie, puis sur la Marne et à nouveau à Verdun.

  Toutefois, il fallait tenir les positions acquises au Levant en décembre 1917, notamment la prise de Jérusalem. Le premier semestre de 1918 fut, par conséquent, consacré à la consolidation de la situation dans les territoires conquis, au Sinaï et dans le sud de la Palestine, en utilisant au mieux les moyens disponibles.


  Au sein de l'armée d'Allenby, au 1er semestre 1918, le front était tenu par les contingents britanniques. Le détachement français (DFLS) avec sa cavalerie était intégré au centre, au coeur du dispositif britannique, et l'armée arabe de Faycal/Lawrence contribuait de manière indépendante, à l'est du Jourdain (autrement dit : sur la route de Damas).




5 - Georges Leblanc - De Port-Saïd à Lattaquié

  Constituée pour la Légion étrangère française, à Chypre, dès 1916, grâce à un recrutement international d'arméniens et de syriens, la Légion d'Orient comptait environ 5 600 hommes (dont 550 Syriens) au début de 1918. Une partie du corps fut transférée à Port-Saïd en mai 1918 (3 bataillons arméniens et une compagnie syrienne). Le recrutement était ciblé afin d'engager des volontaires motivés pour repousser les turcs hors de Palestine, de Syrie et d'Arménie.
Légion d'Orient au camp de Ferry-Post


Camp de Ferry-Post - Les "cuisines"

  Dès son débarquement à Port-Saïd, le 15 mai 1918 avec la Légion d'Orient, venant de Chypre, Georges fut affecté au camp de Ferry-Post, entre Ismaïlia et Suez sur le canal.


  En attendant le transfert vers le front de Palestine qui eut lieu à partir du 10 juillet, les recrues purent faire un peu de tourisme au gré des possibilités de transport militaire ou civil vers Ismaïlia, Suez ou Port-Saïd.
Port-Saïd
Port-Saïd Entrée du Canal de Suez









Sur le canal de Suez



Canal de Suez
Gare de Kantara - départ de la liaison
ferroviaire Ismaïlia-Gaza












  
Mejdel - Les ruines de la forteresse de Méribel
 se situent près de Rosh HaAyin
(Carte Google de 2017)



La légion d'Orient intégrée au DFPS


  Du 10 au 13 juillet, les 3 bataillons et la compagnie syrienne composant la Légion d'Orient furent transférés en Palestine par la liaison ferroviaire Kantara / Gaza, avec une escale à mi-chemin à Al-Arish, au nord du Sinaï, sur la Méditerranée. 

Site de la forteresse médiévale (photo 2017)
à l'horizon : Jaffa - Tel Aviv

    L'ensemble des effectifs de la Légion fut ensuite regroupé à Mejdel (région de Rosh HaAyin sur carte Google ci-dessus), à l'est de Jaffa, ou se trouvait cantonné le "Détachement Français en Palestine et en Syrie" - DFPS - commandé par le Colonel de Piépape.


Forteresse de Mirabel (Mejdel Yaba)
construite en 1132 par les Croisés 
pour protéger le port de Jaffa
Forteresse de Mirabel (Mejdel Yaba)








  A la fin de juin 1918, les français s'installèrent, avec l'intendance (notamment Georges notre boulanger de la Légion d'Orient), dans la zone de la forteresse médiévale de Mejdel Yaba (Château de Mirabel ou Tour de Jaffa) construite en 1152 par un croisé, Foulque d'Anjou, 3ème roi de Jérusalem qui régna de 1131 à 1143. La forteresse, à l'époque, était destinée à protéger les conquêtes franques des attaques fréquentes des égyptiens par la mer. Ceux-ci cherchaient à reprendre les territoires perdus en 1099 lors de la prise de Jérusalem par les croisés de Godefroy de Bouillon (1ère croisade).

Bataille de Rafat

Front - juin 1918 - de Jaffa/TelAviv jusqu'au Jourdain -
 Le DFPS français est placé au centre du dispositif (en bleu)
  A l'été 1918, le front tenu par les armées commandées par le Général Allenby s'étendait, sur 100 km, de Jaffa en bord de Méditerranée jusqu'à Jéricho et à l'est du Jourdain.

Mouvement du DFPS vers le saillant de Rafat le 31 août 1918
au sud de Naplouse



  La partie centrale du front au sud de la ville de Naplouse avait été attribuée aux forces françaises soit environ 15 km (DFPS sur carte ci-dessus). En préparation de l'assaut général, l'action, confiée aux français, débuta le 30 août 1918 par la prise du saillant dit "de Rafat", au sud de Naplouse (Nablus sur la carte).

  Voici un extrait du livre du Général Bourelly concernant la composition du détachement français :
Saillant au sud de Naplouse
   L'ordre de bataille était le suivant : 1° : à Rafat, un escadron de cavalerie algérienne à pied et un groupe (plus d'une compagnie) de Syriens, soit en tout 300 à 400 hommes et 4 sections de mitrailleuses ; 2° au centre, un bataillon de la Légion d'Orient composé en majeure partie d'Arméniens, soit 800 à 900 hommes et 4 sections de mitrailleuses ; 3° à gauche, 2 bataillons de tirailleurs algériens, soit 800 à 900 hommes et 8 sections de mitrailleuses. Le nombre total des fusils en ligne était d'environ 2.500. Un bataillon de la Légion d'Orient et 2 sections de mitrailleuses étaient en réserve. Trois batteries françaises et quelques batteries anglaises devaient appuyer l'attaque. 


Cavalerie française

  L'attaque principale de 1918, commandée par le Général Allenby, se déroula à partir du 18 septembre. Le 19, dès 6 heures du matin, les forces françaises furent engagées au nord-est de Rafat. Les tirailleurs algériens et les légionnaires arméniens s'emparèrent d'abord du lieu-dit "Three Bushes" (3 buissons), puis gravirent "Scurry Hill" (colline de la débandade) et en terminèrent au mont dit "Arara" sur lequel ils eurent mission de s'installer et de tenir. Cette opération permit d'enfoncer les lignes turco-allemandes de plusieurs kilomètres. La place servit ensuite de pivot pour les manoeuvres des 2 corps d'armées britanniques, l'un à l'est vers le Jourdain et la route de Damas et le second à l'ouest vers Mégiddo, Haïfa et la Méditerranée.
Cavalerie australienne



  Par ailleurs le 1er régiment français de spahis, intégré au XXIème corps d'armée britannique (Australien) déployé à l'est de Rafat, entra, au galop, sabre au clair, dans la ville de Naplouse le 21 septembre, aussitôt suivi de la cavalerie australienne.


  Tout cela demande du soutien et de l'intendance. Georges quitta la Légion d'Orient et fut affecté à l'intendance du régiment de cavalerie français, rattaché au XXIème corps d'armée britannique, qui opérait sur le flanc droit des forces françaises lors de la bataille de Rafat. L'objectif assigné à cette armée par le Général Allenby visait clairement la jonction avec les unités arabes de Lawrence d'Arabie et de l'émir Fayçal qui bataillaient, à l'est, sur le chemin de Damas.

Bataille de Megiddo


  Megiddo est un point stratégique de Palestine situé à 90 km au nord de Jérusalem et à 30 km au sud-est d'Haïfa. Au sommet du tell, les archéologues ont découvert des traces de constructions datant de 7 000 ans (25 niveaux superposés). Le lieu a, de tous temps, été le théâtre de confrontations. Il est la clé de passage sur la route naturelle, dite du "Croissant fertile", reliant l'Egypte à l'Assyrie (Pharaons Toutmosis III en -1457 et Nékao II en -609 par exemple). Les ruines de la forteresse dominent encore la plaine.
Le Tell de Megiddo

  A Megiddo la caractéristique remarquable du site réside dans son dispositif de stockage des pluies du printemps dans un dispositif souterrain très élaboré. Cette réalisation date de -900 sous le règne du roi Ahab.

Evolution du front du 19 au 25 septembre
Auto-mitrailleuse britannique

  La bataille de Megiddo du 19 au 25 septembre 1918 permit aux alliés de repousser les forces turques et allemandes au delà d'Haïfa (voir la carte ci-contre montrant le nouveau front de Acre à Amman). Ce fut la confrontation décisive de la campagne de Palestine.


  Info complémentaire :  Armageddon, terme de langage couramment employé - signifiant : "dernier combat catastrophique" - est un dérivé de Megiddo. L'expression date de -609 et concerne une bataille perdue par le roi Josias face à Pharaon Nekao. Elle est assimilée à la lutte entre le bien et le mal. Cela s'applique parfaitement à l'armée turque soutenue par des unités de l'armée allemande. La chute définitive de l'empire ottoman s'est, en effet, concrétisée dans cette région de Palestine ! L'armistice ne tardera pas !



De Megiddo à Damas


Rose de Damas
  En ce qui concerne les français, seul le régiment de cavalerie continua sa progression vers Damas au sein du XXIème britannique. Tibériade fut prise le 27 octobre 1918, Deraa le 28, puis la jonction s'effectua avec l'armée arabe de Lawrence et Fayçal venant du sud. Le 30, la division montée australienne, comprenant le régiment français, entra dans Damas.

Damas




Mosquée des Omeyades (2008)




                    



                                   ______________________

  Pour montrer l'importance de l'intendance, notamment du pain, dans le succès d'une armée, voici l'extrait du journal d'un cavalier français faisant partie du régiment de cavalerie australienne : 


Extrait de « Souvenir de campagne d’orient » de René Dubreil, cavalier au 1er Chasseurs d’Afrique, fils de colon français, originaire de Tunisie.

  - A Naplouse - 21 septembre 1918
Un brin de toilette à ma monture puis à son cavalier, car nous sommes tous deux couverts de sueur et de poussière; la grosse jarre du café turc où je puise avec mon seau de toile nous fournit l’eau nécessaire. A la fin de l’après-midi on vient nous avertir de rallier le régiment qui se reforme à l’extérieur de la ville. On nous rassemble sur une grande place où s’ouvrent des magasins à grains mis, sur le champ, à contribution pour nos chevaux : orge moulu, primitivement destiné à la fabrication de l’horrible pain trouvé sur les prisonniers.

  - A Djenin - 22 septembre 1918

Dans la soirée, étant de faction, un commandant anglais, dînant confortablement sur une table pliante, me fait cadeau d’un pain. Rien ne m’eut fait plus plaisir, car, depuis le début de l’offensive, nous n’avons que des biscuits avec du « singe » ou de la confiture.

 - A Damas - 1er octobre 1918
Notre ordinaire, assez satisfaisant, manque de pain; j'utilise mes économies à acheter oeufs et raisins que l'on trouve assez facilement quoique à un prix élevé.

  Le cavalier René Dubreil se plaignait surtout du manque de pain, ce qui montre que le pain fabriqué par Georges le normand et ses arméniens devait bien convenir aux ...australiens... ou aux gradés !

                                             _________________________________

Alep en 1918
  A l'est du Jourdain, après la prise de Damas, le général Allenby ne permit pas à ses troupes de respirer, il entreprit de prolonger l'action vers le nord pour tirer profit de la déroute des ottomans.
  C'est l'association de la cavalerie australienne (5ème division) et de l'armée arabe de Fayçal qui fut engagée pour donner le coup de grâce à l'alliance turco-allemande ?


La brigade motorisée australienne en 1918

  Homs fut prise le 15 octobre 1918 et Alep le 26 après une manoeuvre d'encerclement effectuée par l'armée arabe.

Alep - Entrée de la forteresse en 2008




Alep en 2008 (vue depuis la forteresse)













  A l'ouest du Jourdain, après la victoire de Megiddo, à la suite de l'armée britannique progressant vers le nord, puis jusqu'à Acre, Rayak et Baalbek, le détachement français fut dirigé sur Beyrouth ou il stationna au complet à partir du 15 octobre 1918. Le 11 octobre, le colonel de Piepape fut nommé administrateur du Liban. Il fut remplacé par le Général Hamelin le 29 du même mois. L'armistice, demandé par la Turquie, fut ratifié à Moudros, sur l'île grecque de Lemnos, le 30 octobre 1918, précédant de quelques jours l'armistice général mettant fin à la 1ère guerre mondiale.
  La légion d'Orient, constituée en majorité d'arméniens, fut transférée à Alexandrette, au nord d'Antioche, au début de décembre pour organiser la pacification de la Cilicie et contribuer au règlement de la cause arménienne.


  Pour Georges, qui, jusqu'au 1er octobre, fut "maître du pain" pour le DFPS et pour la cavalerie australienne, le transfert vers Beyrouth se déroula avec les troupes britanniques. En effet, l'action ultra-rapide engagée vers Alep par le commandement britannique ne permit pas de faire suivre l'intendance au grand complet. Les australiens progressant vers Alep eurent donc droit aux biscuits et aux conserves.



  Le retour vers Beyrouth prit beaucoup de temps. Quatre étapes furent nécessaires pour traverser la chaîne de l'Anti-Liban (col à altitude 1 300 m), la vallée vers Baalbeck et la plaine de la Bekaa (avec passage à gué du fleuve Litani) puis la chaîne du Liban entre le fleuve et la côte.


Carte en relief de la route Damas/Beyrouth
  Les 2 cartes récentes ci-contre (les frontières du Liban n'étaient pas encore définies en 1918) montrent bien les difficultés à surmonter pour se rendre de Damas à Beyrouth avec armes, mules et autres bagages, par la route directe.
Fleuve Litani



  Georges rejoignit le DFPS dans les faubourgs de Beyrouth le 27 octobre 1918.



Préparation du mandat français sur la Syrie et le Liban


Zones confiée à l'administration française
  Après la signature de l'armistice avec les ottomans le 30 octobre 1918, le Général Allenby confia toute la zone côtière du Liban jusqu'à la Cilicie, au sud de l'actuelle Turquie, aux militaires français.
  Ils devaient :
- d'une part, faciliter l'implantation d'un territoire destiné au peuple arménien décimé et déplacé par les turcs en 1915. La légion arménienne fut transférée à Alexandrette, au nord-ouest d'Antioche, pour effectuer cette mission.
 - d'autre part, assurer la mise en place d'une administration provisoire dans ces territoires fraîchement conquis.

  Les français organisèrent plusieurs démonstrations de présence et de force qu'ils nommèrent :
- Colonne du Liban Sud en janvier 1919.
- Colonne de février 1919, chargée de montrer la présence française dans la zone côtière de Tartous à Lattaquié, appelée "Territoire des Alaouites".
- Colonne des Ansarieh en juin 1919.
- D'autres actions suivront jusqu'à la signature du Traité de Sèvres (10 août 1920) qui instaurera le mandat français sur la Syrie et le Liban, dans sa forme définitive, sous l'égide de la SDN (Société des Nations qui deviendra Nations Unies en 1945).

Syrie - Plaine côtière et montagne Alaouite

  Georges, en bivouac près de Beyrouth au sein du DFPS, se porta volontaire pour assurer l'intendance (allégée) de la "Colonne de février", chargée de parcourir la région côtière de Tartous à Lattaquié. Cette zone comprenait le versant ouest de la montagne alaouite et toute l
a plaine entre montagne et Méditerranée. La mission fut assurée par des unités de tirailleurs (9/2e et 7/1er RTA).

  Voici une série de photographies (plus récentes) qui concernent les lieux visités par les français en janvier/février/mars 1919. Les militaires étaient chargés d'expliquer la politique française et de convaincre la population de la détermination de ceux-ci à ramener la paix et la prospérité dans la région.


Tartous et île d'Arwad (Rouad)


Tartous

Ile d'Arwad ou Rouad face à Tartous

Ile d'Arwad - Chantier naval (2008)












Tartous - Front de mer

  Tartous, capitale du Gouvernorat du même nom comptait 116 000 habitants, pour la cité elle-même, au recencement de 2004 (plus de 700 000 pour le gouvernorat). Son port est très actif. L'île d'Arwad qui lui fait face a souvent été autonome. Elle a notamment été phénicienne, perse, grecque, romaine, franque et française pendant la 1ère guerre mondiale. Elle a été définitivement rattachée à la Syrie en 1945. L'île abrite toujours, depuis l'antiquité, de très intéressants chantiers navals. Les bateaux sont traditionnels, construits avec le fameux cèdre du Liban tout proche (voir la très belle structure sur la photo ci-dessus prise en 2008).


Le Krak des Chevaliers (krak=forteresse en arabe)

Le Krak des Chevaliers
  Construit au XIème siècle par les croisés pour surveiller le chemin d'invasion que constitue la trouée d'Homs, qui donne accès à la vallée de l'Oronte et à Damas à partir de la côte à Tartous, le Krak est considéré comme l'un des plus beaux châteaux médiévaux de la planète.

Krak des Chevaliers - vue sur la plaine d'El Bukela (2008)
  La forteresse fut prise et améliorée par les croisés à partir de 1099 jusqu'à la fin de la domination franque sur la région. Le Krak fut géré par les Hospitaliers de St Jean de Jérusalem au XIIème et XIIIème siècle.



Krak des Chevaliers (2008)
Cour supérieure avec, à gauche, la Salle des Chevaliers

Krak des Chevaliers (2008)











  La situation de la citadelle permettait des liaisons à vue entre les châteaux fortifiés qui jalonnaient le pays (Akkar au nord du Liban, Chastel blanc de Safita et Marqab, par exemple)


Le Krak des Chevaliers
Aqueduc depuis les sources environnantes
Le Krak des Chevaliers
La réserve d'eau de la forteresse (douves)





Safita

Places fortifiées du Moyen-âge
Sur une carte figurant les frontières actuelles
   Située sur les pentes de la montagne alaouite, orientée à l'ouest vers Tartous et la Méditerranée, Safita est une jolie ville aménagée sur 3 collines qui constituent un superbe belvédère sur la plaine côtière.

  Safita existait déjà à l'époque phénicienne. Sa situation géographique a été utilisée par les croisés. Les Templiers ont édifié la tour fortifiée, dite "Le Chastel Blanc", qui domine la ville. De superbes plantations d'oliviers entourent la ville et ses environs et s'étendent jusqu'à la mer. La ville compte environ 33 000 habitants.

Safita et ses 3 collines
 La Tour, le Chastel, est au centre de cette photo prise en 2008

















La tour de Safita (2008)
Chastel Blanc des Templiers






  Pendant la période de domination franque, le Chastel Blanc servit de relais optique pour acheminer les informations entre les forteresses du sud et celles du nord (Krak au sud ou Marqab/Margat au nord par exemple sur la carte ci-dessus). La rue qui passe au pied de la tour est appelée "route de Jérusalem". Cette route était, lors des croisades, le chemin qui reliait Antioche à Damas et Jérusalem sans passer par la côte.



Chastel Blanc - Salle des gardes en haut de la Tour (2008)
Safita - route de Jérusalem (2008)
au pied du Chastel Blanc








Safita - vue ouest
depuis le sommet de la Tour (2008)









Environs de Safita (2008) - Vue sud-ouest
A l'horizon à droite : la réserve d'eau d'Al Abrash








Safita - Plantations d'oliviers (2008)











Forteresse du Marqab ou Margat (près de Banyas)


Forteresse du Marqab
  Le château du Marqab ou Margat est construit sur un éperon rocheux situé près de Banyas sur la Méditerranée (voir carte ci-dessus). Il domine toute la côte, pratiquement à mi-chemin entre Lattaquié et Tartous.
Le Marqab - Entrée de la forteresse
  C'est une forteresse longtemps considérée comme imprenable. Elle fut conquise par le prince d'Antioche, Tancrède de Hauteville, en 1109 puis confiée aux Hospitaliers dont elle constitua le dernier bastion dans la région. Les croisés se replièrent ensuite sur Tartous et l'île d'Arouad, de laquelle ils partiront définitivement en 1291 vers Chypre.


Marqab - Cour supérieure (2008)




Marqab - Chapelle (2008)












Vue de Banyas depuis le Marqab (2008)
Vue depuis le Marqab - Plaine côtière (2008)







Château de Saône - Château de Saladin


Château de Saône ou Château de Saladin
  Située près de Lattaquié, la place fortifiée est très ancienne (1er millénaire avant JC). La forteresse de Saône fut construite par les Byzantins (voir carte au paragraphe Safita). Elle fut prise et améliorée par les croisés au XIIéme siècle. Les Egyptiens conduits par Saladin la reprirent en 1188. Elle permettait de contrôler les flux, les invasions, arrivant de la mer à partir d'Antioche ou de Lattaquié, ainsi que ceux provenant de l'est et de la vallée de l'Oronte.



Château de Saône appelé également Château de Saladin - Les écuries -












Lattaquié / Ougarit


Lattaquié - le 29 septembre 2008 -
  Port principal de Syrie, la ville de  Lattaquié compte environ 450 000 habitants (voir carte ci-dessus). Elle fut fondée au IIIéme siècle avant JC, à l'époque d'Alexandre le Grand. Cette cité constitua longtemps un carrefour commercial très important sur les routes d'Asie Mineure, d'Asie lointaine, d'Egypte, d'Europe et de toute la Méditerranée.
Port de Lattaquié
 - début XXème siècle -

Lattaquié










Port de Lattaquié - fin XXème siècle -
  Près de Lattaquié, le site d'Ougarit nous rappelle les débuts de l'écriture. Dès le XVème siècle avant JC, les anciens d'Ougarit utilisèrent un alphabet composé de signes cunéiformes. Cette invention permit de gérer la comptabilité et le commerce portuaire, mais aussi la vie familiale et les textes rituels.


Alphabet Ougarit

  On pouvait ainsi écrire dans les différentes langues utilisées localement, principalement l'akkadien, mais aussi le cananéen, le sumérien ou l'égyptien par exemple.


Ougarit (2008)



Ougarit (2008)













Démobilisation - Retour en Normandie


  Après avoir quadrillé le pays alaouite avec les militaires français en janvier et février 1919, Georges fut rendu à la vie civile le 9 mars 1919.

  Notre boulanger s'embarqua, à Lattaquié, sur la liaison de mars 1919 du cargo mixte "GUADIANA", pour Marseille, ou il fut démobilisé.








Visualisation du parcours de Georges LEBLANC

Parcours de Georges LEBLANC de 1917 à 1919 - Liste en bas à gauche sur la carte -
                                   
 6 - Retour à la vie civile et familiale

  Entre temps la famille avait rejoint Montmerrei où Léontine avait trouvé un emploi, à nouveau chez G. Piednoir, dans le bourg.
   La fiche signalétique de Georges précise bien qu'il se retira à Montmerrei en 1919.

 La malaria

  Georges était suivi de manière régulière par les médecins pour gérer le traitement de la malaria qui avait amené les médecins militaires à l'hospitaliser en Grèce, en 1918. En effet, au cours de la campagne des Balkans, l'armée française (et les autres) a perdu plus de soldats à cause des maladies (les "fièvres") que par les combats proprement dits.
  La malaria (ou paludisme) se manifeste par des crises épisodiques de frissons, de fortes températures corporelles et d'abondantes transpirations. Elle peut également provoquer un coma ou le décès dans les cas les plus graves.
  Fort heureusement, si la maladie, provoquée par un parasite, peut se transmettre d'une mère enceinte à son enfant, il semble qu'il n'y ait pas de risque de transmission par le père lors de la conception.

A Argentan

   Notre boulanger ne trouva pas de travail à Montmerrei. Il fallut revenir à Argentan pour s'assurer un revenu et être en mesure de subvenir aux besoins de sa famille. Au travail durant la semaine et à Montmerrei lorsque la boulangerie était fermée (trajet par le train Argentan / Alménèches et 7 km à pied pour terminer).

  Le drame se produisit à Argentan au cours d'une promenade le long du ruisseau l'Ure qui longe l'avenue de Paris et se jette dans l'Orne au centre-ville. La crise de paludisme fut plus forte, elle provoqua un malaise profond et Georges s'écroula dans le ruisseau. Il fut trouvé par un pêcheur qui alerta les secours. Il était déjà trop tard. C'était un jeudi, le 12 février 1920.

  Le 3ème enfant de Georges Leblanc naquit le 25 juin 1920, à Courménil, dans la famille de Léontine. Il fut prénommé Georges.



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Gravure du XIXème - Représentation du cèdre dit "du Liban" (région de Bcharré)



Symboles de puissance et de confiance,
 les cèdres peuvent vivre 3000 ans




Lumière au Levant





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